Chapitre 4
LA FORGE DES CHAINES
LA FORGE DES CHAINES
Au cours de cette période, les Lévites accomplirent des choses qui devaient affecter définitivement la vie des peuples. Ils ajoutèrent quatre livres au Deutéronome et élaborèrent une Loi d’intolérance racialo¬religieuse qui, si elle pouvait être imposée, couperait à tout jamais les Judaïtes de l’humanité. Par l’expérience de Babylone, ils trouvèrent des manières d’imposer cette Loi, c’est-à-dire de maintenir leurs adeptes isolés de ceux parmi lesquels ils vivaient. Ils acquirent de l’autorité parmi leurs géôliers, et finalement ils « abattirent » et « détruisirent entièrement » la maison de ces derniers ; ou, si cela n’arriva pas réellement, ils transmirent du moins cette version de l’Histoire à une postérité qui l’accepta, et qui avec le temps commença à voir en ce peuple une force destructrice irrésistible.
La première « captivité » (l’égyptienne) semble avoir été complètement légendaire ; en tout cas, ce que l’on sait sur le sujet réfute cette captivité, et comme la rédaction de l’Exode fut terminée après l’incident babylonien, les scribes lévitiques ont pu imaginer l’histoire de l’ancienne « captivité » et de la punition des Égyptiens par Jéhovah pour soutenir la version de la période babylonienne qu’ils étaient en train de préparer.
En tous les cas, ce qui se passa vraiment à Babylone semble avoir été considérablement différent de l’image d’une captivité de masse, plus tard suivie d’un retour en masse, qui fut transmise par les écritures lévitiques.
Aucun exode massif de captifs de Jérusalem jusqu’à Babylone ne peut avoir eu lieu, parce que la majorité du peuple judaïte, d’où une nation juive émergea plus tard, s’était déjà dispersée de tous côtés dans le monde connu (c’est-à-dire, autour de la Méditerranée, dans les terres à l’ouest et à l’est de Juda), étant allée partout où les conditions pour le commerce étaient les plus favorables.
À cet égard, le tableau était dans ses proportions très semblable à celui d’aujourd’hui. À Jérusalem, il y avait juste un noyau, comprenant surtout les dévots les plus zélés du culte du Temple et des gens dont les activités les liaient à la terre. Les autorités s’accordent sur le fait que seulement quelques dizaines de milliers de personnes furent emmenées à Babylone, et qu’elles représentaient une petite fraction de l’ensemble.
Les Judaïtes n’étaient pas non plus les seuls dans cette Diaspora, même si la littérature des lamentations le laisse entendre. Les Parsis d’Inde représentent un cas presque identique et sur la même période. Eux aussi survécurent à la perte d’un État et d’un pays, en tant que communauté religieuse en dispersion. Les siècles suivants offrent de nombreux exemples de la survie de groupes raciaux ou religieux loin de leur contrée d’origine. Au fil des générations, de tels groupes raciaux en viennent à penser à la terre de leurs ancêtres simplement comme « le vieux pays » ; ceux qui sont religieux tournent leurs yeux vers une ville sainte (par exemple, Rome ou la Mecque), alors qu’ils se trouvent à un endroit différent sur la terre.
La différence dans le cas des Judaïtes était que vieux pays et ville sainte étaient la même chose ; que le Jéhovisme exigeait un retour triomphant et le rétablissement de l’adoration du Temple, par-dessus les corps des païens détruits ; et que cette religion était aussi leur loi de vie quotidienne, de sorte qu’une ambition politique mondiale, du genre tribal ancien ou nationaliste, était aussi un acte de foi premier. D’autres doctrines semblables des temps primitifs se sont fossilisées ; celle-ci a survécu pour troubler la vie des peuples au cours des siècles jusqu’à aujourd’hui, où elle a atteint son effet le plus perturbateur.
C’est le résultat direct des essais menés et de l’expérience acquise par les Lévites à Babylone, où ils purent d’abord tester la doctrine dans un environnement étranger.
Le comportement bienveillant des conquérants babyloniens envers leurs prisonniers judaïtes fut l’exact opposé de celui ordonné aux Judaïtes, dans des circonstances inverses, par la seconde Loi qu’on leur avait lue juste avant leur défaite : « Ne laisse en vie rien qui respire… » Le Dr Kastein dit que les captifs « bénéficiaient d’une liberté totale » de résidence, de culte, d’activité et d’autogestion.
Cette libéralité permit ainsi aux Lévites de rendre prisonniers des gens qui étaient en grande partie libres ; sur l’insistance des prêtres, ils furent contraints de s’installer en communautés fermées, et ce fut ainsi la naissance du ghetto et du pouvoir des Lévites. La domination talmudique de l’ère chrétienne, qui décrétait l’excommunication des juifs s’ils vendaient sans permission « des biens de leurs prochains » à des « étrangers » est issue de cette première expérience dans l’auto¬ségrégation, à Babylone.
Le soutien du dirigeant étranger était nécessaire pour ce parcage des expatriés par leurs propres prêtres, et il fut donné à cette première occasion, comme à d’autres innombrables occasions depuis lors.
Avec leur peuple fermement sous leur coupe, les Lévites entreprirent alors d’achever la compilation de « la Loi » Les quatre livres qu’ils ajoutèrent au Deutéronome constituent la Torah, et ce mot, qui à l’origine signifiait doctrine, est maintenant reconnu comme signifiant « la Loi » Toutefois, « achèvement » est un mot des plus trompeurs à ce sujet.
Seule la Torah (au sens des cinq livres) a été achevée. La Loi n’a pas été achevée à l’époque et ne pourra jamais l’être, étant donné l’existence de la « Torah secrète » rapportée par le Talmud (qui lui-même n’était que la continuation postérieure de la Torah), et la prétention des prêtres au droit divin d’interprétation. En fait, « la Loi » fut constamment modifiée, souvent pour combler quelque lacune qui aurait pu permettre à « l’étranger » de jouir d’un droit revenant seulement à « un prochain ». Des exemples de ce procédé continu de révision ont déjà été donnés, et d’autres suivront dans ce chapitre. La conséquence était habituellement de faire que la haine ou le mépris pour « l’étranger » soient partie intégrante de « la Loi » par la prévision de peines discriminatoires ou d’immunités .
Quand la Torah fut achevée, une grande clôture, unique en son genre mais toujours inachevée, avait été construite entre tout être humain qui -peu importe quand -acceptait cette « Loi » et le reste de l’humanité. La Torah n’autorisait aucune distinction entre cette Loi de Jéhovah et celle de l’homme, entre la loi religieuse et la loi civile. La loi de « l’étranger », théologiquement et juridiquement, n’avait pas d’existence, et toute prétention à en faire valoir une était de la « persécution » puisque la loi de Jéhovah était la seule loi.
Les prêtres prétendaient que la Torah gouvernait chaque acte de la vie quotidienne, jusqu’au plus trivial. Toute objection selon laquelle Moïse ne pouvait avoir reçu de Jéhovah, sur la montagne, des instructions détaillées concernant toutes les actions imaginables accomplies par l’homme, rencontrait le dogme selon lequel les prêtres, tels des messagers-relais, transmettaient de génération en génération « la tradition orale » de la révélation de Jéhovah à Moïse, et le pouvoir infini de la réinterprétation. Toutefois, de telles objections étaient rares, puisque la Loi ordonnait la peine de mort pour les sceptiques.
M. Montefiore fait remarquer fort justement que l’Ancien Testament est « la législation révélée, et non la vérité révélée » et dit que les prophètes israélites ne peuvent avoir connu quoi que ce soit de la Torah, puisque les Lévites l’achevèrent à Babylone. Les paroles de Jérémie : « la plume des scribes est vaine », se réfèrent de toute évidence à ce procédé de la révision lévitique et à l’attribution d’innombrables nouvelles « lois et jugements » à Jéhovah et Moïse.
Le « péché » n’était pas un concept de la Torah au moment où celle-ci prenait forme. C’est logique, car dans la loi il ne peut y avoir de « péché », juste des crimes ou des infractions. La seule offense connue de cette Loi était la non-observance, ce qui voulait dire le crime ou l’infraction. Ce qui est généralement compris comme le « péché », à savoir la transgression morale, était quelquefois expressément ordonné par la Loi, ou bien rachetable par le sacrifice d’un animal.
L’idée du « retour » (avec les idées apparentées de destruction et de domination) était fondamentale au dogme, qui tenait ou tombait par elle. Aucune impulsion puissante de départ de Babylone avec un retour à Jérusalem n’existait au sein du peuple (pas plus qu’aujourd’hui, où l’instinct de la vaste majorité des juifs est totalement contre le « retour », si bien qu’il est beaucoup plus facile pour l’État sioniste de trouver de l’argent que des immigrants, à l’étranger).
L’accomplissement littéral était le principe suprême, et cela voulait dire que la possession de la Palestine, le « centre » de l’empire dominant à venir, était essentielle (comme elle l’est toujours) ; son importance dans le schéma global était politique, pas résidentielle.
Ainsi, les Lévites à Babylone ajoutèrent-ils l’Exode, la Genèse, le Lévitique et les Nombres au Deutéronome. La Genèse et l’Exode fournissent une version de l’Histoire façonnée pour correspondre à « la Loi » que les Lévites avaient à l’époque déjà promulguée dans le Deutéronome. Cela remonte tout droit à la création, dont les scribes connaissaient la date exacte (bien que les deux premiers chapitres de la Genèse donnent des comptes rendus quelque peu différents de la création ; et l’influence lévitique, ainsi que le pensent les érudits, est plus visible dans le second chapitre que dans le premier).
Tout ce qui a survécu de l’ancienne tradition israélite se trouve dans la Genèse et l’Exode, et dans les passages éclairés des prophètes israélites. Ces passages plus bienveillants sont invariablement neutralisés par des passages postérieurs fanatiques, qui sont sans doute des interpolations lévitiques.
L’énigme est de deviner pourquoi les Lévites permirent que demeurent ces aperçus d’un Dieu aimant de tous les hommes ¬puisqu’ils invalidaient la Nouvelle Loi et qu’ils auraient pu être retirés. Une théorie défendable pourrait être que la tradition ancienne était trop bien connue des tribus pour être simplement supprimée, si bien qu’on a dû la conserver et la neutraliser par des épisodes allégoriques et des modifications.
Bien que la Genèse et l’Exode aient été produits après le Deutéronome, le thème du tribalisme fanatique est faible dans ces deux livres. La montée et le crescendo arrivent avec le Deutéronome, le Lévitique et les Nombres, qui portent l’empreinte manifeste des Lévites de la Juda isolée puis de Babylone.
Ainsi, dans la Genèse le seul écho avant-coureur du bruit et de la fureur ultérieurs est : « Et je ferai de toi une grande nation et je te bénirai, et ton nom sera grand ; et tu seras une bénédiction ; et je bénirai ceux qui te bénissent, et maudirai celui qui te maudit ; et en toi toutes les familles de la terre seront bénies… et l’Éternel apparut à Abraham, et dit : Je donnerai cette terre à ta progéniture… »
L’Exode n’est pas bien différent : par exemple, « Si tu fais vraiment… tout ce que je dis, alors je serai un ennemi pour tes ennemis… et je les exterminerai » ; et même ces passages pourraient être des interpolations lévitiques.
Mais dans l’Exode une chose de première importance apparaît : cette promesse est scellée dans le sang, et à partir de là le sang coule comme une rivière tout au long des livres de la Loi. Moïse est décrit comme « prenant le sang et en aspergeant le peuple » en disant : « Voici le sang de l’alliance que l’Éternel a faite avec vous concernant toutes ces paroles ». L’office héréditaire et perpétuel des prêtres aaronites est fondé sur ce rituel de sang : Jéhovah dit à Moïse, « Et prends avec toi Aaron ton frère et ses fils avec lui, pour qu’il me serve dans la prêtrise ».
La manière de consacrer un prêtre est alors exposée en détails par Jéhovah lui-même, d’après les scribes lévitiques :
Il doit prendre un bœuf et deux béliers « sans imperfection », les faire égorger « devant l’Éternel », et sur l’autel brûler un bélier et les entrailles du bœuf. Le sang du second bélier doit être mis « sur le bout de l’oreille droite d’Aaron et sur le bout de l’oreille droite de ses fils et sur le pouce de leur main droite et sur le gros orteil de leur pied droit » et aspergé « sur l’autel de manière circulaire… et sur Aaron, et sur ses vêtements , et sur ses fils et les vêtements de ses fils ».
L’image de prêtres éclaboussés de sang qui nous est donnée mérite contemplation. Même après tout ce temps, la question se pose : pourquoi cette insistance appuyée sur le sacrifice de sang dans les livres de la Loi produits par les Lévites ? La réponse semble se trouver dans l’aptitude extraordinaire et troublante de la secte à faire naître la peur par la terreur ; car la mention même du « sang » dans un tel contexte faisait trembler le Judaïte fidèle ou superstitieux pour son propre fils !
Cette revendication des prêtres fanatiques aux premiers-nés de leurs disciples est entièrement expliquée dans l’Exode :
« Et l’Éternel s’adressa à Moïse, et lui dit : Consacre-moi tous les
premiers-nés, tout ce qui ouvre le sein maternel parmi les enfants
d’Israël, tant de l’homme que de l’animal : cela est à moi ».
D’après le passage de Michée cité plus tôt, cette pratique du sacrifice des premiers-nés humains continua pendant longtemps, et la vue d’un Lévite ensanglanté dut avoir un impact terrible sur l’humble homme de tribu, car dans les paroles attribuées à Dieu citées ci-dessus, les premiers-nés « de l’homme et de l’animal » sont mis ensemble. Cet impact demeura longtemps après que les prêtres (d’une manière des plus ingénieuses qui sera décrite plus tard) eurent trouvé le moyen d’abandonner les sacrifices humains tout en maintenant leurs prérogatives. Même là, pour l’assemblée des fidèles, le sang qui était aspergé sur le prêtre, même si c’était celui d’un animal, était symboliquement toujours celui de sa propre progéniture !
De plus, dans les places fortes talmudiques de la communauté juive, ce bain de sang rituel a continué jusqu’à notre époque ; ce n’est pas une réminiscence de l’Antiquité. Vingt-quatre siècles après que l’Exode eut été compilé, les Reform Rabbis of America1 (à Pittsburgh, en 1885) déclarèrent : « Nous n’espérons ni un retour en Palestine, ni un culte sacrificiel sous l’administration des fils d’Aaron ; ni la restauration d’aucune des lois concernant l’État juif ». L’importance de cette déclaration se trouve dans le besoin, qui était ressenti en 1885, de la faire publiquement ; elle montre que l’école rivale de la communauté juive pratiquait toujours l’observance littérale, y compris le rituel du « culte sacrificiel ». (Dans les années 1950, les Reform Rabbis of America avaient perdu beaucoup de terrain et battaient en retraite devant les forces du chauvinisme sioniste).
La paternité lévitique de la Torah est indiquée, une fois encore, par le fait que plus de la moitié des cinq livres est consacrée à des instructions extrêmement détaillées, attribuées directement à l’Éternel, concernant la construction et l’aménagement des autels et des tabernacles, le tissu et la conception des vêtements sacerdotaux, des mitres, des ceintures, le genre de chaînes en or et de pierres précieuses avec lesquelles le prêtre baptisé de sang doit être revêtu, ainsi que le nombre et l’espèce des bêtes à sacrifier pour les diverses transgressions, les usages à faire de leur sang, le paiement de la dîme et du sicle, et en général les privilèges et avantages annexes des prêtres. Un grand nombre de chapitres est consacré au sacrifice de sang, en particulier.
Dieu n’accorde probablement pas autant d’importance au sang des animaux ou aux vêtements raffinés des prêtres. C’était la chose même contre laquelle les « prophètes » israélites avaient protesté.
1 Les rabbins non orthodoxes d’Amérique -NdT
C’était la momification d’une religion tribale primitive ; et pourtant, c’est toujours la Loi de la secte dirigeante et elle a un grand pouvoir dans notre monde actuel.
Quand ils compilèrent ces Livres de la Loi, les scribes lévitiques inclurent de nombreux épisodes allégoriques ou illustratifs des terribles résultats de la « non-observance ». Ce sont les paraboles de l’Ancien Testament, et leur morale est toujours la même : la mort pour le « transgresseur ». L’Exode contient la plus connue de ces paraboles, celle du veau d’or. Alors que Moïse était sur la montagne, Aaron fabriqua un veau d’or ; quand Moïse redescendit et le vit, il ordonna aux « fils de Lévi » de traverser le campement « et de massacrer chaque homme son frère, et chaque homme son compagnon, et chaque homme son voisin », ce que ces Lévites consciencieux firent, si bien que « parmi le peuple ce jour-là, trois mille homme tombèrent ».
La chrétienté a également hérité de cette parabole du veau d’or (puisqu’elle a hérité de l’Ancien Testament) et la considère comme un avertissement contre le culte des idoles. Toutefois, une raison tout à faite différente a pu provoquer quelque tendance parmi le peuple, qui décida les Lévites à inventer cette parabole. À cette époque, de nombreux Judaïtes, et peut-être aussi des prêtres, ont pu penser que Dieu serait plus satisfait de l’offrande symbolique d’un veau d’or que du bêlement permanent d’animaux égorgés, de l’aspersion de leur sang, et du « parfum suave » de leurs carcasses brûlantes. Les Lévites luttaient sans cesse avec acharnement contre de tels affaiblissements de leur rituel, ainsi toutes ces paraboles sont-elles toujours dirigées contre quiconque cherche à le modifier dans quelque détail que ce soit.
Un exemple similaire est la « révolte de Koré » (les Nombres), où « deux cent cinquante princes de l’assemblée, célèbres parmi la congrégation des fidèles -des hommes de renom -se rassemblèrent contre Moïse et Aaron et leur dirent : Vous en faites trop, en voyant que toute l’assemblée des fidèles est sainte, chacun d’eux l’est, et l’Éternel est parmi eux ; alors pourquoi vous placez-vous au dessus de l’assemblée des fidèles de l’Éternel ? »
Les « prophètes » israélites s’étaient plaints de la même chose, à savoir que les Lévites en faisaient trop, et la parabole des Nombres est clairement destinée à décourager tout autre opposant : « Alors la terre s’ouvrit et avala Koré et ses deux cent cinquante hommes de renom » (cependant, l’assemblée « continua à grommeler», sur quoi l’Éternel la punit en lui envoyant la peste, et quand Aaron intercéda, « quatorze mille sept cents » d’entre eux gisaient morts.)
La leçon de ces paraboles -le respect envers les prêtres -est renforcée immédiatement après cette anecdote, par l’énumération, selon les paroles attribués à l’Éternel, des avantages annexes des Lévites : « Le meilleur de l’huile, le meilleur de la vigne et du blé, dont ils offrent les premiers fruits à l’Éternel, je te l’ai donné ».
Peut-être parce que la tradition ancienne imposait certaines restrictions dans l’écriture de l’Histoire, la Genèse et l’Exode sont relativement contenus. La note fanatique, qui résonne fortement pour la première fois dans le Deutétonome, devient ensuite de plus en plus forte dans le Lévitique et les Nombres, jusqu’à la fin, où une parabole de conclusion décrit un massacre racialo-religieux comme un acte de la plus haute piété dans « l’observance », choisi pour être récompensé par Dieu ! Ces deux derniers livres, comme le Deutétonome, sont censés avoir été laissés par Moïse et rapporter ses communions avec Jéhovah. En ce qui les concerne, aucune déclaration ne fut faite qu’ « un manuscrit recouvert par la poussière des siècles » avait été découvert ; ils furent simplement publiés.
Ils montrent le développement du fanatisme de la secte à cette période, et la fougue grandissante de ses exhortations à la haine raciale et religieuse. Le Deutéronome avait d’abord décrété : « Tu aimeras donc l’étranger » et avait ensuite annulé ce « jugement » (qui venait probablement de la tradition ancienne israélite) par le jugement postérieur qui excluait l’étranger de l’interdit concernant l’usure.
Le Lévitique alla beaucoup plus loin. Il commence lui aussi par l’injonction à aimer : « L’étranger qui demeure avec vous sera pour toi comme s’il était né parmi vous, et tu l’aimeras comme toi-même » (chapitre 19). Le renversement arrive au chapitre 25 : « Les enfants de l’étranger qui séjournent parmi vous, tu les achèteras, et leurs familles qui sont parmi vous, qu’ils ont engendrées sur ta terre, elles seront ta propriété. Et tu les prendras comme héritage pour tes enfants après toi, pour qu’ils en héritent comme propriété ; ils seront tes esclaves à jamais : mais pour tes frères, les enfants d’Israël, vous ne régnerez pas les uns sur les autres avec dureté ».
Cela faisait du servage héréditaire des « étrangers » et de la possession d’esclaves un principe de la Loi (qui est toujours valide). Si l’Ancien Testament est « d’autorité divine égale » au Nouveau Testament, les chrétiens évangélistes du genre pionnier, homme de la Frontière ou Voortrekker, étaient en droit à leur époque d’invoquer de tels passages quant à l’esclavage en Amérique ou en Afrique du Sud.
Le Lévitique a introduit (dans tous les cas par insinuation claire) ce qui est peut-être la plus significative de toutes les discriminations que la Loi ait faites entre « ton prochain » et « l’étranger ». Au début, le Deutéronome avait rapporté (chapitre 22) que « si un homme trouve une jeune fille fiancée dans les champs, et l’homme la force à coucher avec lui : alors seul l’homme qui a couché avec elle mourra ; mais à la jeune fille rien ne sera fait ; il n’y a dans la jeune fille aucun péché qui mérite la mort ; car il en est de même quand un homme s’élève contre son prochain, et le tue ». C’est le genre de clause, concernant le viol, qu’on aurait probablement trouvé dans n’importe quel code de loi qui était en train de prendre forme alors, et d’ailleurs il trouverait sa place dans quasi n’importe quel code de loi aujourd’hui, hormis pour la nature extrême de la peine. Ce passage, une fois encore, pourrait très bien représenter l’attitude ancienne israélite envers cette transgression particulière ; elle était impartiale et ne variait pas selon l’identité de la victime.
Puis, le Lévitique (chapitre 19) rapporta qu’un homme qui « connaît charnellement » une esclave fiancée peut s’acquitter de sa faute en apportant un bélier au prêtre « comme offrande pour son offense », où « le péché qu’il a commis lui sera pardonné » mais la femme « sera châtiée ». Sous cette Loi, la parole d’une femme esclave contre celle de son maître ne comptait absolument pas, pour une accusation de viol, si bien que ce passage semble être une modification d’ordre discriminatoire apportée à la clause du Deutéronome. Certaines allusions du Talmud soutiennent cette interprétation, comme nous le montrerons.
Le Lévitique contient aussi sa part de parabole décrivant les conséquences terribles de la non-observance, et cet exemple particulier montre jusqu’à quelles extrémités les Lévites sont allés. La transgression commise par les deux personnages allégoriques dans cet exemple (eux-mêmes deux Lévites : Hadab et Abihu) était simplement qu’ils avaient brûlé la mauvaise sorte de feu dans leurs encensoirs. C’était un crime capital sous « la Loi » et ils furent immédiatement dévorés par l’Éternel !
Les Nombres, le dernier des cinq livres à avoir été produit, est le plus extrême. Dans ce dernier, les Lévites trouvèrent un moyen de laisser tomber leur première prérogative (la revendication du premier-né) tout en perpétuant « la Loi », son principe suprême. Ce fut une manœuvre politique de génie. La revendication du premier-né était de toute évidence devenue une source d’embarras sérieux pour eux, mais ils ne pouvaient décemment pas abandonner le premier article d’une Loi littérale qui n’admettait aucune latitude quelle qu’elle fût dans « l’observance » ; abandonner cela aurait été une transgression majeure en soi. Par une nouvelle réinterprétation de la Loi, ils se rendirent les mandataires du premier-né, et ainsi revendiquèrent le droit permanent à la gratitude du peuple sans aucun risque pour eux-mêmes :
« Et l’Éternel s’adressa à Moïse, et lui dit : Voici. J’ai pris les Lévites
parmi les enfants d’Israël au lieu de tous les premiers-nés qui ouvrent
le sein maternel parmi les enfants d’Israël : par conséquent les
Lévites seront à moi ; parce que tous les premiers-nés sont à moi… »
(Comme le nombre des premier-nés rachetés de cette manière dépassait leurs rédempteurs Lévites de 273, le paiement de cinq sicles pour chacun de ces 273 fut requis, l’argent devant être remis « à Aaron et ses fils »).
Procédant selon ce nouveau statut de rédempteurs, les Lévites rédigèrent encore plus de « lois et jugements » dans les Nombres. Ils gouvernaient par la terreur et concevaient de manière ingénieuse de nouvelles façons d’instiller celle-ci ; un exemple est leur « épreuve de jalousie ». Si « l’esprit de la jalousie » s’abattait sur un homme, il était légalement obligé (par « l’Éternel s’adressant à Moïse et lui disant ») de traîner sa femme devant le Lévite, qui, devant l’autel, lui présentait une préparation « d’eau amère » qu’il avait faite, en disant : « Si aucun homme n’a couché avec toi et si tu ne t’es pas détournée et rendue impure avec un autre que ton mari, tu ne subiras pas l’effet de cette eau qui cause la malédiction. Mais si tu t’es tournée vers un autre homme que ton mari, et si tu t’es souillée, et qu’un homme autre que ton mari a couché avec toi… l’Éternel fera de toi une calamité et une injure au milieu de ton peuple, quand l’Éternel fera flétrir ta cuisse, et enfler ton ventre. »
Ensuite la femme devait boire l’eau amère et si son ventre enflait , les prêtres « appliquaient la loi » : la mort pour elle. Le pouvoir qu’un tel rite plaçait entre les mains des prêtres était évident ; attribué au commandement direct de Dieu, il évoque les pratiques des sorciers d’Afrique.
La touche finale est donnée à « la Loi » dans les derniers chapitres des Nombres -le dernier livre à avoir été compilé. Elle est apportée par la parabole de Moïse et des Madianites. Le lecteur aura remarqué que la vie et les actes de Moïse, tels que relatés dans l’Exode, en font à plusieurs reprises un transgresseur majeur de la « seconde Loi » du Deutéronome et des nombreuses autres modifications du Lévitique et des Nombres. En se réfugiant auprès des Madianites, en épousant la fille du Grand prêtre madianite, en recevant de lui des instructions concernant les rites sacerdotaux, et en commettant d’autres actes, Moïse était « parti se prostituer auprès d’autres dieux », avait « pris femme parmi leurs filles » et ainsi de suite. Comme la structure entière de la Loi reposait sur Moïse, au nom de qui les commandements contre ces actes furent dictés dans les livres postérieurs, quelque chose devait de toute évidence être fait à son sujet avant que les Livres de la Loi ne soient achevés, sans quoi toute la structure s’écroulerait.
La courte dernière partie des Nombres montre comment les scribes surmontèrent la difficulté. Dans ces derniers chapitres de « la Loi », on fit en sorte que Moïse se conforme à « toutes les lois et jugements » et soit racheté de ses transgressions en massacrant toute la tribu madianite, excepté les vierges ! Par ce qu’on appellerait dans le langage idiomatique moderne une fantastique « distorsion », Moïse fut ressuscité afin qu’il puisse déshonorer ses sauveurs, sa femme, ses deux fils et son beau-père. À titre posthume, on le fit « revenir de sa méchanceté » pour valider le dogme racialo-religieux que les Lévites avaient inventé, et par la transfiguration totale du patriarche bienveillant de la légende ancienne, il devint le père fondateur de leur Loi de haine et de meurtre !
Dans le chapitre 25, on fait raconter à Moïse que « la colère de l’Éternel s’enflamma » parce que le peuple se tournait vers d’autres dieux. L’Éternel lui ordonne : « Prends tous les chefs du peuple et pends-les devant l’Éternel au soleil », sur quoi Moïse ordonne aux juges : « Tuez ceux de leurs gens qui ont rejoint Baal Peor » (le culte de Baal était beaucoup pratiqué dans tout Canaan, et la compétition de ce culte avec celui de Jéhovah était un sujet de plainte particulier chez les Lévites).
Le thème de la haine religieuse est ainsi introduit dans le récit. Celui de la haine raciale lui est joint quand, dans la suite immédiate, un homme amène « une femme madianite sous les yeux de Moïse ». Phinées (le petit-fils d’Aaron, frère de Moïse) les attaque « et les transperce tous les deux, l’homme d’Israël, et la femme par le ventre ». À cause de cet acte, « la peste fut enrayée » et « l’Éternel s’adressa à Moïse, et lui dit : Phinées a détourné ma colère des enfants d’Israël, en faisant preuve de zèle pour moi… Et pour cette raison, je dis : Voici, je lui offre mon alliance de paix ! »
Ainsi, l’alliance entre Jéhovah et les prêtres héréditaires aaronites fut-elle à nouveau scellée (par les prêtres lévitiques) dans le sang, cette fois le sang d’un meurtre racialo-religieux, que « l’Éternel » décrit alors comme « une expiation pour les enfants d’Israël ». L’Éternel ordonne alors à Moïse, le témoin du meurtre : « Provoque les Madianites et frappe-les. » Le symbolisme est évident. Il lui est ordonné, dans sa résurrection, de porter atteinte de la même manière aux « autres dieux » (le dieu du Grand prêtre Jéthro, de qui il avait reçu des enseignements) et aux « étrangers » (la race de sa femme et de son beau-père).
Les Lévites firent même du massacre qui suivit le dernier acte de Moïse sur terre ; il fut réhabilité à deux doigts de l’éternité ! « Et l’Éternel s’adresse à Moïse, et lui dit : Venge les enfants d’Israël des Madianites ; ensuite tu seras réuni à ton peuple ». Ainsi, sur ces ordres, les hommes de Moïse « firent la guerre aux Madianites comme l’Éternel l’ordonnait à Moïse ; et ils tuèrent tous les hommes… et emmenèrent toutes les femmes de Madian prisonnières, et leurs petits enfants, et prirent le butin de leurs villes, et tous leurs troupeaux, et tous leurs dieux, et brûlèrent leurs villes ».
Ça ne suffisait pas. Moïse, époux d’une femme madianite aimante et père de ses deux fils, se mit en « colère » contre ses officiers parce qu’ils avaient « laissé la vie sauve à toutes les femmes madianites. Voyez, ce sont elles qui ont incité les enfants d’Israël… à commettre des offenses envers l’Éternel dans l’affaire de Peor, et il y a eu la peste parmi les communautés de l’Éternel. Ainsi donc maintenant, tuez chaque mâle parmi les petits enfants et tuez chaque femme qui ait connu un homme en couchant avec. Mais tous les enfants femelles, qui n’ont pas connu d’homme en couchant avec, gardez-les en vie pour vous-mêmes.» (La liste du butin est ensuite dressée ; après l’énumération des moutons, des bœufs et des ânes suivent « trente-deux mille personnes en tout, de femmes qui n’ont pas connu d’homme en couchant avec ». Elles furent partagées entre les Lévites, les soldats et la communauté ; « l’or » fut apporté aux Lévites « pour l’Éternel ».)
Avec ça, il fut finalement permis à Moïse de reposer et les Livres de la Loi furent achevés. On n’aurait guère pu donner forme plus démoniaque à l’incitation. Les chapitres 25 et 31 des Nombres ont besoin d’être comparés aux chapitres 2, 3 et 18 de l’Exode pour qu’apparaisse la pleine portée des actes imputés à Jéhovah et Moïse par les Lévites. C’était un avertissement clair au peuple spécial de ce que le Jéhovisme devait signifier pour eux ; il demeure aujourd’hui un avertissement pour les autres.
La Loi se conclut sur cette note. Ses auteurs étaient une petite secte à Babylone, avec quelques milliers d’adeptes là-bas. Toutefois, la puissance de leur idée perverse devait se révéler très grande. En donnant à l’ambition matérielle la forme la plus large qu’elle puisse avoir sur terre, ils se sont à jamais identifiés à la plus vile des deux forces qui luttent perpétuellement pour l’âme humaine : l’attraction vers le bas que représentent les instincts charnels, en guerre contre l’élan inspirateur de l’esprit.
Les théologiens de la chrétienté se réclament plus de cette Loi que les érudits de la communauté juive. J’ai devant moi une Bible chrétienne publiée récemment, avec une note explicative qui dit que les cinq livres de la Torah sont « reconnus comme vrais », et à cet égard les livres historiques, prophétiques et poétiques également. Ceci découle logiquement du dogme, cité plus tôt, que l’Ancien Testament est « d’autorité divine égale » au Nouveau Testament.
Les érudits judaïstes ne disent pas la même chose. Le Dr Kastein, par exemple, dit que la Torah était « le travail d’un compilateur anonyme » qui « produisit une œuvre historique pragmatique ». Cette description est exacte ; le scribe ou les scribes rapportèrent une version de l’Histoire, écrite subjectivement pour soutenir le compendium de lois qui était fondé dessus ; et à la fois l’Histoire et les lois furent conçues pour servir un « but politique ».« Une idée unificatrice sous-tendait l’ensemble », rapporte le Dr Kastein, et cette idée unificatrice était le nationalisme tribal, dans une forme plus fanatique que le monde ait par ailleurs connue. La Torah n’était pas une religion révélée mais, comme le remarqua M. Montefiore, « la législation révélée » promulguée dans un but précis.
Alors que la Loi était en train d’être compilée (elle ne fut pas achevée avant la fin de la « captivité » babylonienne), les deux derniers protestataires, Isaïe et Jérémie, faisaient entendre leurs voix. L’influence des Lévites peut être retrouvée dans les interpolations qui furent faites dans leurs livres, afin de les aligner sur « la Loi » et sa « version corroborante de l’Histoire ». La falsification apparaît le plus clairement dans le livre d’Isaïe, qui est le cas le plus connu parce qu’il est le plus facilement démontrable. Quinze chapitres du livre furent écrits par quelqu’un qui connaissait la captivité babylonienne, alors qu’Isaïe avait vécu quelque deux cents ans plus tôt. Les érudits chrétiens contournent cela en appelant l’homme inconnu « Deutéro-Isaïe », ou le second Isaïe.
Cet homme laissa les paroles célèbres (souvent citées hors de leur contexte) : « l’Éternel a dit… Je te donnerai aussi comme lumière pour les gentils, pour que tu sois mon salut jusqu’au bout de la terre ». Cela était hérésie sous la Loi qui était en préparation, et apparemment le Lévite rajouta (puisque le même homme ne l’aurait sans doute pas écrit) les passages prédisant que « les rois et reines » des gentils « s’inclineront devant toi la face contre terre et lécheront la poussière de tes pieds… Je ferai manger à ceux qui t’oppriment leur propre chair et ils seront enivrés avec leur propre sang, comme avec le vin doux ; et toute chair saura que je suis l’Éternel ton Sauveur et ton Rédempteur » (cela sonne comme du Ézéchiel, qui fut le vrai père de la Loi lévitique, comme on le verra).
Le livre de Jérémie semble avoir reçu la modification lévitique au début, car le passage d’introduction habituel présente une forte dissonance avec d’autres pensées de Jérémie : « Vois, je t’ai en ce jour placé au-dessus des nations et au-dessus des royaumes, pour les chasser, et les terrasser, et les détruire…»
Cela ne ressemble pas à l’homme qui écrivit, au chapitre suivant : « La parole de l’Éternel est venue à moi en disant, Va et crie à l’oreille de Jérusalem, Ainsi dit l’Éternel : Je me souviens de toi, la bonté de ta jeunesse, l’amour de tes épousailles, quand tu me suivis dans le désert, sur une terre inculte… Quelle iniquité tes pères ont-ils trouvée en moi, pour qu’ils soient partis loin de moi… mon peuple m’a abandonné, moi la source des eaux vives… »
Jérémie identifiait alors la coupable, Juda (et à cause de cette offense, il trouva probablement la mort) : « Israël l’infidèle s’est montrée plus juste que Juda la perfide ». Israël était tombée en disgrâce, mais Juda avait trahi ; c’est à l’évidence une allusion à la nouvelle Loi des Lévites. Ensuite vient la protestation passionnée, commune à tous les protestataires, contre les rites et sacrifices des prêtres :
« Ne faites pas confiance aux paroles mensongères, en disant : Le Temple du Seigneur, le Temple du Seigneur, le Temple du Seigneur…» (les incantations rituelles répétitives) « ... mais réformez complètement vos habitudes et vos faits et gestes, n’opprimez pas l’étranger, l’orphelin et la veuve, et ne répandez pas de sang innocent dans ce lieu » (le rituel du sacrifice de sang et le meurtre ordonné des apostats)… « ne volez-vous pas, n’assassinez-vous pas, ne commettez-vous pas l’adultère, et ne prêtez-vous pas de faux serments ?… et vous venez, et vous vous tenez devant moi dans cette maison, qui est appelée de mon nom, et dites : “Nous sommes envoyés pour commettre toutes ces abominations” (l’absolution rituelle après le sacrifice animal). « Est-ce que cette maison, qui est appelée de mon nom, est devenue un repaire de bandits à vos yeux ?… Je n’ai pas parlé à vos pères, ni ne leur ai donné d’ordre, le jour où je les emmenés hors de la terre d’Égypte, concernant des holocaustes ou des sacrifices… »
Par ces paroles, Jérémie, comme Jésus plus tard, protestait contre la « destruction » de la Loi au nom de son accomplissement. Il semble probable que même au temps de Jérémie, les Lévites exigeaient toujours le sacrifice des enfants premiers-nés, car il ajoute : « Et ils ont construit le haut lieu… pour brûler leurs fils et filles dans le feu ; ce que je n’ai pas ordonné, et qui n’est pas venu à mon cœur non plus ».
À cause de ces « abominations » mêmes, continuait Jérémie, l’Éternel ferait « cesser dans les villes de Juda, et dans les rues de Jérusalem, les cris d’allégresse, les cris de joie, les voix du fiancé et de la fiancée ; car le pays sera désolé ».
Ceci est le célèbre pronostic politique, qui fut confirmé ; les Lévites, avec leur génie de la perversion, l’invoquèrent plus tard pour soutenir leur déclaration que Juda était tombée parce que leur Loi n’avait pas été observée, alors que l’avertissement de Jérémie était que leur Loi détruirait « Juda la perfide». Si Jérémie sortait de terre aujourd’hui, il pourrait utiliser ces mots exacts à propos du sionisme, car la situation est similaire et la conséquence ultime semble tout aussi prévisible.
Quand Juda tomba, Jérémie transmit son message le plus célèbre de tous, celui vers lequel les populations juives se tournent souvent instinctivement aujourd’hui, et dont la secte dirigeante leur interdit de temps à autre de tenir compte : « Recherchez la paix de la ville où je vous ai faits emmener prisonniers, et priez l’Éternel pour cela ; car dans sa paix vous aurez la paix ». Les Lévites donnèrent leur réponse pleine de colère dans le 137ème Psaume :
« Près des eaux de Babylone nous nous sommes assis et nous avons
sangloté… Nos tourmenteurs nous ont demandé de les réjouir :
Chantez-nous un des cantiques de Sion. Comment pouvons-nous
chanter le cantique du Seigneur dans une terre étrangère ? Si je
t’oublie, Ô Jérusalem, laisse ma main droite oublier son adresse,
laisse ma langue se fendre jusqu’à la voûte de mon palais… Ô fille de
Babylone, qui doit être détruite, bienheureux celui qui te
récompensera comme tu nous as servis. Bienheureux celui qui
prendra tes petits enfants et les fracassera contre les pierres.»
Dans l’avertissement de Jérémie et la réponse des Lévites se trouve toute l’histoire de la controverse de Sion et de ses conséquences pour les autres, jusqu’à nos jours.
Jérémie, qui fut apparemment mis à mort, serait aujourd’hui attaqué comme « cinglé », « paranoïaque », « anti-Sémite » et autres noms du même genre ; l’expression utilisée alors était « prophète et rêveur de rêves ». Il décrit les méthodes de diffamation utilisées contre de tels hommes, dans des termes qui s’appliquent exactement à notre époque et à de nombreux hommes dont les vies publiques et les réputations furent détruites par ces méthodes (tel que ce récit le montrera quand il atteindra le siècle actuel) : « Car j’en ai entendus beaucoup diffamer, la peur de tous côtés. Rapporte, disent-ils, et nous le rapporterons. Tous mes familiers guettaient ma faiblesse, se disant : d’aventure il se laissera entraîner, et nous aurons l’avantage sur lui, et nous nous vengerons de lui ».
Alors que Jérémie s’était réfugié en Égypte, le Second Isaïe, à Babylone, écrivit ces mots bienveillants qui brillent comme la dernière lueur du jour sur le fond ténébreux de l’enseignement qui était sur le point de triompher : « Ainsi dit l’Éternel, Garde le jugement, et sois juste… ne laisse pas le fils de l’étranger, qui a rejoint l’Éternel, dire : l’Éternel m’a complètement séparé de son peuple… Les fils de l’étranger, qui rejoignent l’Éternel, pour le servir, et pour aimer le nom de l’Éternel, pour être ses serviteurs… même eux je les amènerai à ma montagne sainte, et les réjouirai dans ma maison de prière… car ma maison sera appelée maison de prière pour tous les peuples ».
Les protestations s’achèvent sur cet aperçu d’un Dieu aimant de toute l’humanité. Les Lévites et leur Loi gardèrent le pouvoir suprême et à partir de là, la vraie captivité « des juifs » commença, car leur asservissement à la loi de la haine raciale et religieuse est la seule véritable captivité dont ils aient souffert.
Jérémie et le Second Isaïe, comme les anciens protestataires israélites, parlaient pour l’humanité, qui avançait lentement à tâtons vers la lumière quand les Lévites retournaient aux ténèbres. Avant même que la Loi ne fût achevée, le prince Siddhartha Gautama, le Bouddha, avait vécu et était mort, et avait fondé la première religion de toute l’humanité, basée sur sa Première Loi de l’Existence : « Du bien vient le bien, et du mal vient le mal ». C’était la réponse à la seconde Loi des Lévites, même s’ils n’en entendirent probablement jamais parler. C’était aussi la réponse inévitable du temps et de l’esprit humain au brahmanisme, au racisme hindou et au culte de la perpétuelle caste dominante (qui ressemble fortement au judaïsme littéral).
Cinq cents ans plus tard apparaîtrait une seconde religion universelle, et cinq cents ans après cela, une troisième. La petite nation de Juda fut retenue par les chaînes de la Loi, hors de ce mouvement de l’humanité ; elle s’arrêta au stade fossile de l’évolution spirituelle, et pourtant sa doctrine tribale primitive resta vivante et vigoureuse. La Loi lévitique, toujours puissante au XXe siècle, est de par sa nature un vestige des temps engloutis.
Une telle Loi était destinée à provoquer la curiosité d’abord, et l’inquiétude ensuite parmi les peuples avec lesquels les Judaïtes cohabitaient, ou parmi leurs voisins, s’ils vivaient seuls. Quand les Judaïtes quittèrent Babylone pour retourner à Jérusalem, en 538 av. J.-C. environ, cet impact sur les autres peuples commença. À ce stade, il fut seulement ressenti par les petits clans et tribus, les voisins immédiats des Judaïtes rapatriés à Jérusalem. Il continua depuis à se répandre en cercles excentriques, à être ressenti par un nombre de plus en plus important de peuples, et au cours de notre siècle il causa ses plus grands troubles parmi ces derniers.
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